LES CITATIONS (sélection)
BACH Jean Sébastien
Quand le vieux Cantor saxon n’a pas d’idées, il part sur n’importe quoi et il est impitoyable vraiment. En somme, il n’est supportable que quand il est admirable. C’est bien quelque chose, me direz-vous !
Tout de même, s’il avait eu un ami — peut-être un éditeur ? —, qui lui aurait doucement conseillé de ne pas écrire – un jour par semaine, par exemple, cela nous eût évité quelques centaines de pages où il faut se promener entre une haie de mesures sans joie, qui défilent sans pitié, avec toujours le même petit coquin de « sujet » puis de « contre-sujet ».
Quelquefois — même souvent —, la prodigieuse écriture, qui n’est, après tout, qu’une gymnastique particulière à ce vieux maître, n’arrive pas à combler le terrible vide qui s’accroît d’autant de l’insistance à tirer parti d’une idée quelconque, cela à n’importe quel prix.
Claude DEBUSSY, Correspondance (1872-1918), Paris, Gallimard, NRF, 2005, p. 2009.
Lettre à Jacques Durand du 15 avril 1917 à l’occasion de la révision des Sonates pour violon et clavier de Bach.
BAROQUE
La musique baroque, depuis que les baroqueux l’ont abondamment remise en lumière, est forte d’un nombre incroyable de compositeurs qui font la musique au kilomètre… La chose n’est pas très intéressante.
Michel ONFRAY, La Raison des sortilèges, Entretiens sur la musique avec Jean-Yves Clément, Collection Universités populaires & Cie, Éditions Autrement, 2013, p. 183.
BEETHOVEN Ludwig van
Un fragment de symphonie de Béethoven (sic) terminait le concert. Cet auteur, souvent bizarre et baroque, étincelle quelquefois de beautés extraordinaires. Tantôt il prend le vol majestueux de l’aigle ; tantôt il rampe dans des sentiers rocailleux. Après avoir pénétré l’âme d’une douce mélancolie, il la déchire aussitôt par un amas d’accords barbares. Il me semble voir renfermer ensemble des colombes et des crocodiles.
Alexis de GARAUDÉ, Tablettes de Polymnie, IIème année, n° 20, 20 mars 1811, p. 310-311. Ces lignes (fameuses !) signées A. G., rendent compte d’un concert au Conservatoire Impérial de Musique, alors que « la belle symphonie en sol mineur de Mozart, l’ouverture de La Flûte enchantée ont été entendues avec enthousiasme ». Il s‘agissait de la première française d’un fragment (le scherzo ?) de la Symphonie n° 2 en ré majeur op. 36 donnée le 10 mars 1811 par l’Orchestre du Conservatoire sous la direction de Habeneck.
Dans cette même revue à l’existence éphémère (janvier 1810 - 5 octobre 1811), mais au ton parfois mordant, les abonnés avaient pu lire dans le numéro de mars 1810 (p. 8 et 9), le compte rendu signé cette fois A. M. (?) du Quatrième exercice des élèves du Conservatoire consacré à la Symphonie n° 4 de Méhul donné le 18 du mois. « C’est cette heureuse disposition d’harmonie et de mélodie qui a fait le succès des Symphonies d’Haydn et de Mozart ; le plan de leurs intentions est toujours clair et correct ; la science, qu’ils ne cherchent jamais, se trouvent toujours amenée et fondue dans leurs motifs, de manière à ne jeter aucune confusion dans le travail de l’orchestre. L’étonnant succès des compositions de Bethoowen (sic) est d’un exemple dangereux pour l’art musical. La contagion d’une harmonie tudesque semble gagner l’école moderne de composition qui se forme au Conservatoire. On croit produire de l’effet en prodiguant les dissonances les plus barbares et en employant avec fracas tous les instrumens (sic) de l’orchestre. Hélas ! on ne fait que déchirer bruyamment l’oreille, sans jamais parler au cœur. M. Méhul a trop d’esprit et de véritable talent pour ne pas sentir que ces réflexions critiques ne s’adressent point à lui. Puissent-elles atteindre avec fruit beaucoup de jeunes harmonistes qui croient aveuglément que la science des accords leur tiendra lieu de génie. »
Dans son livre Les Symphonies de Beethoven, (Paris, Delagrave, 1906, rééd. 1924, p. 58), Jacques-Gabriel Prod’homme rapporte le jugement non moins « singulier » émis par l’allemand Karl Spazier, après l’exécution de la Deuxième Symphonie à Leipzig le 29 avril 1804, dans la Gazette du monde élégant : « Un monstre mal dégrossi (crasses Ungeheuer), un dragon transpercé qui se débat indomptable et ne veut pas mourir et, même perdant son sang (dans le finale), rageant, frappe en vain autour de soi, de sa queue agitée » (Gazette du monde élégant). À côté du dragon de Spazier, les crocodiles de Garaudé paraissent bien aimables.
Enfin, Berlioz rapporte ironiquement qu’en 1821, aux Concerts spirituels de l’Opéra, Rodolphe Kreutzer – le dédicataire de la fameuse Neuvième Sonate pour violon et piano op. 47 – s’était enfui en se bouchant les oreilles, et il eut besoin de tout son courage pour se décider aux autres répétions à écouter ce qui restait de la symphonie en ré ». Il précise encore que « le célèbre adagio en la mineur de la VIIe symphonie, avait été intercalé dans la deuxième pour faire passer le reste » « N’oublions pas que l’opinion de M. Kreutzer sur Beethoven était celle des quatre-vingt-dix-neuf centièmes des musiciens de Paris à cette époque. ». (Hector Berlioz, « Étude critique des symphonies de Beethoven », À travers chants, Études Musicales, Adorations, Boutades et Critiques (1862), Préface d’Emmanuel Reibel, Lyon, Symétrie et Palazzetto Brun Zane, 2013, p. 38).
Alexis de Garaudé rendra finalement les armes dans les Tablettes du 20 mai 1811 (p. 375) : « Je suis forcé d’avouer que la plupart des ouvrages de Béethowen (sic) ont un cachet grandiose, original, grandiose, qui émeut vivement l’âme des auditeurs. La [troisième] symphonie, en mi bémol qu’on a exécutée dans ce dixième Concert (du Conservatoire, le 5 mai 1811], est la plus belle qu’il ait composée : excepté quelques germanismes un peu durs, dans lesquels la force de l’habitude l’a entraîné, tout le reste offre un plan sage et correct, quoique rempli de véhémence ; de gracieux épisodes se rattachent avec art aux idées principales, et ses phrases de chant ont une fraîcheur de coloris qui leur appartient en propre. » Les colombes voleraient-elles cette fois au-dessus des crocodiles ?
J’avais conservé de la Symphonie héroïque un plus grand souvenir. Décidément Beethoven est terriblement inégal. Le premier morceau est beau ; l’andante, sur lequel je comptais, m’a complètement désappointé. Rien de beau, de sublime dans le début ! Tout d’un coup, vous tombez de cent pieds au milieu de la vulgarité la plus singulière. Le dernier morceau manque également d’unité.
Eugène DELACROIX, Journal 1822-1863, à la date du 6 avril 1849, Plon, 1996, p. 189.
Le 26 mars 1854, il se corrige : « Concert à Sainte-Cécile. Je n’ai prêté d’attention qu’à la Symphonie héroïque. J’ai trouvé la première partie admirable. L’andante est ce que Beethoven a peut-être fait de plus tragique et de plus sublime, jusqu’à la moitié seulement. »
Le reste du concert ne valait presque rien ; une déplorable symphonie de Schubert, un ennuyeux concerto pour piano de Beethoven […]. Jamais un concert de Beethoven ne m’a paru ennuyeux comme aujourd’hui ; en réalité il était fort médiocre, mais maintenant il est de mode d’admirer sans mesure les choses les plus insignifiantes de Beethoven et on a applaudi frénétiquement. Il faut avouer que l’enthousiasme pour Beethoven est un peu exagéré. Qu’on l’admire comme un merveilleux génie, fort bien, mais n’y a-t-il que lui ? Et Bach, et Haendel, et Haydn, et Mozart ? Cette admiration exclusive et peu réfléchie, car la plupart de ceux qui disent aimer Beethoven ne le comprennent pas, me jette dans l’excès contraire. Sans parler de Bach, qui est le Dieu suprême, je trouve qu’on délaisse un peu trop Mozart. Il a sur Beethoven cet avantage irrécusable, c’est qu’il est raisonnable et qu’il peut servir de modèle ; Beethoven est sublimement désordonné et son influence a jeté l’école moderne dans toutes sortes de folies.
Ernest CHAUSSON, Écrits inédits, choix et présentation de Jean Gallois, Éditions du Rocher, 1999, p. 56, texte daté du 12 décembre 1875.
Chausson a 20 ans. Toutefois, il manifestera un peu plus tard son enthousiasme pour les symphonies. Dans son Journal, le 7 avril 1892, il remarque : « Mais le trop d’assurance est aussi quelquefois une marque de jeunesse. On est rarement aussi affirmatif plus tard. » Néanmoins, le 28 août 1895, il écrit à Vincent d’Indy : « Crickboom m’a joué hier le Concerto de Beethoven : je m’étais bien préparé à l’avance à l’admiration ; je ne suis arrivé qu’aux grincements de dents. Oh ! Ces interminables traits. Et il les fait pourtant très bien, Crickboom, avec une facilité qui éloigne toute idée de sueur. Mais dans ce genre d’acrobaties, franchement, j’aime mieux les gymnastes. »
Ses fugues de troisième manière sont de véritables monstres, pour ne citer que le dernier morceau de la sonate œuvre 102, pour piano et violoncelle et le finale de l’énorme sonate, œuvre 106, fuga a tre voci cun alcune licenze. Ces quelques licences consistent à avoir traité l’harmonie comme si elle n’existait pas, et à avoir donné à la mélodie un congé de vingt pages. S’il fallait un programme à ce finale, M. de Lenz l’a trouvé : c’est le cauchemar. […]
Si l’idée de terminer une symphonie par un chœur qui ne s’y rattache point, d’une manière nettement compréhensible, est demeurée sans résultat pour les progrès de l’art, les innovations qu’offrent les derniers quatuors de Beethoven sont plus que stériles ; elles conduisent directement à la ruine de ce genre de musique, comme de tout autre auquel on voudrait les appliquer. Sauf quelques endroits mélodieux, dans les mouvements graves, dernières et vacillantes lueurs de la lampe qui s’éteint, ces ouvrages manquent de caractère, de forme et surtout d’unité. […] Ajoutez-y l’absence de mélodies franches et caractérisées, une harmonie plus que jamais chimérique ; ajoutez la cruelle longueur de ces productions informes et déplorables, et vous aurez l’idée de ce que peut être une soirée qu’elles remplissent en entier, un martyre musical de deux ou trois heures. Hélas, je l’ai subi, bien des fois, pour mes péchés.
Alexandre OULIBICHEV, Beethoven, ses critiques et ses glossateurs, Paris, Gravelot, 1857, p. 273, 277, 288 et suivantes.
BERLIOZ Hector
J’avoue ne pas béer d’admiration devant la Fantastique. Certes, il a fallu un toupet gigantesque, une impudence géniale, pour lancer ce pétard colossal en des jours où régnait Boïeldieu. Je l’accorde, cette Symphonie déconcertante sue le génie de la première à la dernière note, même dans les plus exécrables passages. Mais que de longueurs douloureuses, que d’énormes vulgarités, que d’harmonies désagréables, laides, irritantes ! Que de raseries romantiques ! Quelle salade de bals, de prairies, d’échafauds, de sorcières ! Cela serait intolérable sans les trouvailles, l’éclat furieux de la Marche au supplice, les facéties goyatesques du sabbat, et huit mesures par-ci, et seize mesures par-là, et un frémissement d’alto, une plainte de hautbois, une note de cor, le je ne sais quoi enfin que Berlioz a toujours eu. Je concède aussi que l’idée de faire traverser toute l’œuvre au leitmotiv de la personne aimée est une de ces conceptions neuves et fécondes, réservées aux seuls artistes de grande race, aux maîtres.
Henri GAUTHIER-VILLARS dit WILLY, Lettres de l’Ouvreuse : voyage autour de la musique, en collaboration avec Alfred Ernst, Éd. Vanier, 1890, p. 98-99, à la date du.19 janvier 1890.
BRAHMS Johannes
Ah ! ce Brahms ! en voilà un dont la musique est d’un germanisme indigeste ! Ses compatriotes eux-mêmes ne l’ont pas digéré facilement. […] À part quelques œuvres, comme une sonate pour piano et violon, sa symphonie en fa, des valses écrites dans sa jeunesse, quelle lourdeur dans ses œuvres, lourdeur que l’on prend pour de la profondeur ! quelle absence de charme, quelle froideur ! et ce qu’il y a de pis, c’est la perte de cette élégance d’écriture que les maîtres précédents possédaient à un si haut degré, et que Wagner a conservée sans la communiquer à ses imitateurs. Il a écrit quelques beaux lieder, mais qui ne vont pas au cœur, qui ne ravissent pas l’imagination comme ceux de Schumann. […]
De toute la musique allemande, il en est peu qui soit aussi peu que la sienne accessible au public français. Elle n’en figure pas moins abondamment sur les programmes, malgré l’ennui non dissimulé des auditoires. L’auteur est allemand, cela suffit…
Camille SAINT-SAËNS, in L’Écho de Paris, 16 octobre 1914.
Article intitulé « Germanophilie » dénonçant l’envahissement de la musique germanique, destructeur de l’art français. En 1919, Saint-Saëns poursuit : « Le nom de Brahms commence par un B ; et les Allemands, un beau jour, en ont pris prétexte pour en faire l’égal des noms glorieux d’un Bach et d’un Beethoven. C’est à peu près comme si l’on faisait de Campistron l’égal de Corneille. »
Et pourquoi donc ai-je une horreur physique de la musique de Brahms ? Rien que d’y penser j’ai mal aux doigts…
Samson FRANÇOIS, Histoire de… mille vies, par Maximilien Samson François, Bleu nuit éditeur, 2002, p. 198.
CHEF D’ORCHESTRE
Le chef d’orchestre fait tout le spectacle de ce à quoi l’auditeur obéit. Les auditeurs s’associent pour voir un homme debout, seul, surélevé, qui fait parler et taire à volonté un troupeau qui obéit.
Le chef fait la pluie et le beau temps avec une baguette. Il a un rameau d’or au bout des doigts.
Un troupeau qui obéit, cela signifie une meute d’animaux domestiqués, cela définit une société humaine, c’est-à-dire une armée que la mort de l’autre fonde.
Ils marchent à la baguette.
Une meute humaine s’agglutine pour voir une meute domestiquée. […] Le maître du corps social est le Kappelmeister de la nature. Tout chef d’orchestre est dompteur, est Führer. Tout homme qui applaudit avance les mains devant son visage, puis talonne, puis cire.
Enfin la meute fait revenir le chef et exulte s’il consent à apparaître.
Pascal QUIGNARD, La Haine de la musique, Folio Gallimard, 1996, p. 229-230.
CLAVECIN
Le clavecin n’avait qu’un avantage : celui d’être un ustensile polyphonique peu encombrant. Par ailleurs, aucune qualité. Un timbre grêle, monotone, insuffisamment compensé par des jeux sans efficacité. Une résonance courte, anémique, incapable de soutenir une bonne vraie mélodie sans expédients ornementaux. Un niveau sonore faiblard, couvert par la moindre flûte… instrument pour plaisir solitaire. Enfin et surtout impossibilité de fournir la moindre nuance – pas plus que l’orgue, mais la comparaison ne vaut rien, pour un instrument qui a du souffle, du punch, et plus d’un tour dans son sac de jeux.
La stupidité congénitale du clavecin faisait endêver les compositeurs exigeants. Ceux qui ne se contentaient plus de pallier par des ornements emberlificotés les déficiences irréductibles de ce clavier à l’insensibilité bovine – un mordant de temps en temps, ça se supporte, mais la noyade de la mélodie sous les cui-cui, le guili-guilisme à jet continu, ça porte aux nerfs. […]
Qu’on garde le clavecin pour les préciosités des musiques de salon louisquatorziennes, qu’on le garde pour faire tagada tsoin tsoin dans le continuo, cela se conçoit, et j’ai la mansuétude d’y consentir… Mais pitié, plus de concertos à trois ou quatre clavecins, les salles de concert ne sont pas des champs de tir.
Gérard ZWANG, À contre-bruit, Jean-Claude Simoën, 1977, p. 48.
DEBUSSY Claude
Nous sommes allés, la semaine dernière, entendre Pelléas et Mélisande de Debussy : il y a incontestablement là-dedans un merveilleux talent, mais j’avoue que le système dramatique me paraît défectueux. C’est le drame même de Maeterlinck simplement déclamé en une sorte de mélopée dont tout contour mélodique est volontairement absent. L’auteur n’a eu en vue que de créer par sa musique et par une orchestration qu’on pourrait dire ouatée, une atmosphère de vision : en cela, il a admirablement réussi. Mais les personnages sont falots et fantomatiques : tout se dit sur le même ton et a la même importance ; qu’il s’agisse d’ouvrir une fenêtre ou d’exprimer les sentiments provoqués par la situation la plus tragique – et il n’y a pas un seul accent pathétique. […] C’est seulement notre sensibilité qui est touchée, mais pas celle du cœur, une sensibilité de nerfs et d’épiderme ; notre cerveau est ému, jamais notre cœur : les personnages qui s’agitent dans ce drame sont évoqués, ils ne vivent pas. […] En somme, malgré un très grand et très original talent, c’est un art tout à fait artificiel qui convient parfaitement à une époque névrosée comme la nôtre, mais qui, j’en suis convaincu, ne lui survivra pas.
Henri DUPARC, Lettres à Jean Cras, « le fils de mon âme », Lyon, Symétrie, 2009, p. 26-27, lettre du 22 mai 1902.
Cette musique est vraiment indicible ; elle existe elle-même si peu qu’on a mille peines à en parler. Elle
déferle en petites notes vagues dont le va-et-vient berceur finit par nous donner une sensation de roulis. Peut-on dire que l’on s’y ennuie ? Même pas, car on y sommeille. […] Cet art amorphe, si peu viril, semble tout fait exprès pour sensibilités fatiguées. […] Cette musique a les pâles couleurs ; aussi plait-elle à nos chloroses. […] Elle se joue à la surface des choses. Elle ne nous touche pas : elle nous frôle. Les femmes l’apprécient. Elle est bien faite à leur mesure. […] Peu ou point d’accords pleins. Des timbres sans franchise, quelque chose, oserais-je dire, à la fois d’aigre et de douceâtre, qui éveille, on ne sait comment, une idée d’équivoque et de fraude. […] L’auteur fignole chaque mesure, avançant note par note, s’attardant dans le minuscule. À défaut de l’élan souverain d’une inspiration absente, nous assistons à d’infimes recherches de sonorités rares, recherches dont on ne peut même pas dire que les effets en soient variés. Somme toute, musique subtile, mais où rien ne vit, ne palpite ; petite formule industrieuse, mais combien inféconde et restreinte ; art lilliputien pour une humanité des plus réduites.
Raphaël COR, « M. Claude Debussy et le snobisme contemporain », Revue du temps présent, Paris, Octobre 1909.
Ce pamphlet antidebussyste entraîna de nombreux compositeurs à réagir dans le cadre d’une enquête publiée sous le titre Le Cas Debussy (voir Raphaël COR et infra diverses collaborations à cette enquête) où cet article est à nouveau reproduit.
DIAPASON
Je le dis en toute tranquillité : Gustav Leonhardt et consort, Nikolaus Harnoncourt et fils, Franz Brüggen et sous-fifres, Kuijken et compagnie sont des faussaires, des pollueurs d’environnement sonore, des assassins posthumes de Bach, Couperin, Frescobaldi et autres morts innocents dont ils tuent ce que la musique contient de VIVANT, immuable à travers les âges et les modes. Ils font de l’anti-art, de l’anti-musique. Il y a même, ô infamie, un atroce Quartetto Esterhazy qui ose jouer les quatuors de Mozart un demi-ton trop bas, sur des planches pourries grattées par des archets gondolés dont Leopold n’aurait jamais voulu. Tout cela pue le moisi, le cadavre pas frais. Et c’est avec la plus grande allégresse que mon âme républicaine et écologique verrait mettre en prison tous ces coupables d’outrage aux bonnes notes. Emprisonnement qu’il faudrait assortir de la destruction, par le feu, des chignoles faisandées qu’ils ont le front d’appeler instruments de musique.
Gérard ZWANG, Leonhardt, y en a marre, in Pariscope, 3 novembre 1976, n° 441.
FRANCK César
Le poème des Béatitudes paraît être l’ouvrage d’une dame bien-pensante, mais écrivant moins bien, d’une poétesse de catéchisme ou de patronage… […]
Hélas ! le caractère de cette musique est précisément de n’en point avoir ; elle est surtout impersonnelle et inexpressive. […]
En somme cette musique est indifférente et inutile. Non pas qu’elle soit laide : Franck ne faisait pas précisément de la musique laide ; il a laissé ce soin à plusieurs de ses élèves. La musique dont il avait le secret, c’est la musique ennuyeuse. L’ennui, l’inexorable ennui, voilà son domaine, son royaume, le terrain sur lequel il a peu de rivaux. […] Par aucun de ses éléments cette musique n’agit sur nous. La mélodie ? On a beau rire du mot, la chose est éternelle et subsiste même dans la musique de Franck. Malheureusement elle y est sans relief et sans couleur… […] Les harmonies ? Toujours cherchées, elles sont rarement originales et saisissantes, et pour l’étrangeté, pour la nouveauté des accords et des trouvailles harmoniques, les Béatitudes tout entières ne valent pas les deux accords du cygne dans Lohengrin ou un motet de Palestrina. […] L’orchestre enfin ? Pâteux, opaque, rien ne fermente en lui, rien ne vit.
Camille BELLAIGUE, L’Année musicale et dramatique 1893, Paris, Delagrave, 1894, p. 129-131.
Dans sa détraction, Bellaigue affirmait sa préférence pour Rédemption et Mors et vita de Gounod. À l’occasion d’une exécution partielle des Béatitudes sous la direction médiocre de Franck, le 30 janvier 1887, Duparc écrit à Chausson (lettre de février 1887) : « J’ai reçu une lettre de mon frère, qui est encore plus dur que toi pour ce massacre : il me dit, en manière de Neuvième Béatitude : “Heureux ceux qui n’avaient pas de billets !” »
FUGUE
À l’égard des contre-fugues, doubles fugues, fugues renversées, basses contraintes, et autres sottises difficiles que l’oreille ne peut souffrir et que la raison ne peut justifier, ce sont évidemment des restes de barbarie et de mauvais goût, qui ne subsistent, comme les portails de nos églises gothiques, que pour la honte de ceux qui ont eu la patience de les faire.
Jean-Jacques ROUSSEAU, Lettre sur la musique française (1753) in Écrits sur la musique, Stock Musique, 1979, p. 289.
MESSIAEN Olivier
Certes nous ne souhaitions par retrouver chez Messiaen le naïf réalisme du Coucou de Daquin ou de celui de Beethoven, mais on attendait un « climat » ornithologique plus respectueux des harmonies de la nature. Le chant de l’oiseau est essentiellement monodique ; or il est traduit ici par de lourdes grappes d’accords qui l’étouffent. Il est fait de sérénité, de douceur et de poésie, et nous l’entendons sous la forme d’un assourdissant cataclysme. La brutalité à laquelle est condamné le pianiste confond l’imagination.
Sa technique est celle de la boxe : le swing, l’uppercut, les foudroyants « directs » du gauche qui écrasent l’octave grave pendant que le droit agace et chatouille l’octave suraiguë sur le clavier avec une fureur inexplicable. Que signifie tout ce tapage ? Telle est donc la voix du chocard des Alpes, du traquet stapazin, de la rousserolle effarvatte, de la buse variable et de la locustelle tachetée ?
Seul le loriot bénéficia d’une présentation indulgente. Il est vrai qu’il était vu par un membre de la famille – sa cousine Yvonne – qui l’a peint avec une rare délicatesse. La virtuosité avec laquelle cette héroïque pianiste a feuilleté ce catalogue lui a valu un succès éclatant. Mais j’aurais été bien curieux d’apprendre ce qu’auraient pu penser de ces transpositions furibondes nos aviculteurs patentés du quai de la Mégisserie !
Émile VUILLERMOZ, Critique musicale, 1902-1960, Au bonheur des soirs, texte établi par Jacques Lonchampt, L’Harmattan, 2013, p. 555.
Compte rendu, intitulé « La Volière d’Olivier Messiaen » et paru dans Paris-Presse du 18 avril 1959, de la création du Catalogue d’oiseaux Salle Gaveau (concerts du Domaine Musical) par Yvonne Loriod, le 15 avril 1959.
MOZART Wolfgang Amadeus
J’avais été choqué d’un passage du rôle de Donna Anna, dans lequel Mozart a eu le malheur d’écrire une déplorable vocalise qui fait tache dans sa lumineuse partition. Je veux parler de l’allegro de l’air de soprano (n° 22), au second acte, air d’une tristesse profonde, où toute la poésie de l’amour se montre éplorée et en deuil, et où l’on trouve néanmoins vers la fin du morceau des notes ridicules et d’une inconvenance tellement choquante, qu’on a peine à croire qu’elles aient pu échapper à la plume d’un pareil homme. Donna Anna semble là essuyer ses larmes et se livrer tout d’un coup à d’indécentes bouffonneries. Les paroles de ce passage sont : Forse un giorno il cielo ancora sentirà a-a-a (ici un trait incroyable et du plus mauvais style) pietà di me. Il faut avouer que c’est une singulière façon, pour la noble fille outragée, d’exprimer l’espoir que le ciel aura un jour pitié d’elle !… Il m’était difficile de pardonner à Mozart une telle énormité. Aujourd’hui, je sens que je donnerais une partie de mon sang pour effacer cette honteuse* page et quelques autres du même genre, dont on est bien forcé de reconnaître l’existence dans ses œuvres.
Note* : Je trouve même l’épithète de honteuse insuffisante pour flétrir ce passage. Mozart a commis là contre la passion, contre le sentiment, contre le bon goût et le bon sens, un des crimes les plus odieux et les plus insensés que l’on puisse citer dans l’histoire de l’art.
Hector BERLIOZ, Mémoires, chap. XVII, Paris, Flammarion, 1991, p. 110.
Berlioz reconnaîtra que son jugement avait été altéré par de mauvaises représentations au Théâtre Italien et que plusieurs années après seulement, il put « goûter le charme et la suave perfection » de «l’œuvre dramatique de ce grand compositeur ».
MUSIQUE FRANÇAISE
Je crois avoir fait voir qu’il n’y a ni mesure ni mélodie dans la musique française, parce que la langue n’en est pas susceptible ; que le chant français n’est qu’un aboiement continuel, insupportable à toute oreille non prévenue ; que l’harmonie en est brute, sans expression, et sentant uniquement son remplissage d’écolier ; que les airs français ne sont point des airs ; que le récitatif français n’est point du récitatif. D’où je conclus que les Français n’ont point de musique et n’en peuvent avoir, ou que, si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux.
Jean-Jacques ROUSSEAU, Lettre sur la musique française (1753) in Écrits sur la musique, Stock Musique, 1979, p. 322.
SATIE Erik
Satie, avec son air à la fois humble et ambitieux de satyre épicier et de bouc châtré, le cordon de lorgnon passé sur l’oreille, donnait l’idée d’un commis incompris chez Potin.
La gloire de ce pauvre pitre, à la foire du faubourg, est un objet de dégoût. Satis Satie, il faut en finir avec ces pantalonnades.
André SUARÈS, Sur la musique, préface de Stéphane Barsacq, Actes Sud, 2013, p. 24, 61.
SCHUMANN Robert
Madame Schumann a clos la séance par une composition des plus étranges de son mari, intitulée le Carnaval. C’est une sorte de petite épopée humoristique, dans le genre d’Hoffmann ou de Jean-Paul Richter, subdivisée en seize épisodes ayant chacun un titre particulier. […] Il serait difficile d’imaginer quelque chose de plus fantasque et de moins musical que cette triste bouffonnerie d’un esprit malade, qui dure plus d’une demi-heure, et où l’oreille éperdue ne peut saisir ni un rythme ni une idée saillante. C’est le rêve troublé d’une imagination fiévreuse, qui n’a plus conscience de la liaison des idées. Le public n’a pas laissé ignorer à la grande virtuose le désappointement qu’il éprouvait, et j’ai vu le moment où il aurait déserté la salle, si le cauchemar musical de Robert Schumann eût duré une seconde de plus. […] La musique de son mari, qu’elle a essayé de nous imposer, n’a pu vaincre l’indifférence du public et la désapprobation des hommes de goût, qui ne se laissent pas étourdir par de creuses rêvasseries.
Paul SCUDO, La Musique en l’année 1862 ou Revue annuelle des théâtres lyriques et des concerts, des publications littéraires relatives à la musique et des événements remarquables appartenant à l’histoire de l’art musical, Paris, Hetzel, 1863, p. 107.
STRAUSS Richard
Le musicien Richard Strauss est décidément un phénomène étrange, troublant, voire ahurissant. On ne saurait guère rêver amalgame plus hétéroclite que cet art de casse-cou, qui semble s’évertuer à battre les records de toutes les mégalomanies imaginables. Son évidente évolution déconcerte autant par la brutalité de l’effort que pour l’imbroglio des éléments disparates, sinon essentiellement antagonistes, qu’on y voit concourir en équilatérale indifférence ou frénésie. […]
Enfin vint Elektra, et ce n’est pas sans quelque stupeur qu’on y contempla ce qu’on serait tenté d’appeler les ultimes aboutissements du « système », si nul mot n’était plus impropre en l’espèce. Incomparablement plus inégale que la précédente [Salomé], cette œuvre apparaît l’épanouissement le plus crûment primesautier qui soit des qualités et des défauts pareillement extraordinaires de R. Strauss. Le musicien s’y abandonne, avec une sorte de jemenfichisme éperdu, au sabbat des influences multiples et combien panachées qui contribuèrent à sa personnalité complexe. Aucun autre de ses ouvrages ne présente un aspect aussi hâtif et incohérent, un fatras aussi peu fardé de revenez-y d’école, de remplissages, de tirage à la ligne délayant des réminiscences d’acabit le plus bariolé. […]